Je tiens à saluer le livre que vient de publier Michel Wieviorka aux éditions Robert Laffont :
La prochaine gauche.Michel Wieviorka est, on le sait, l’un de nos sociologues les plus féconds. L’intérêt de ce livre vient de ce qu’il nourrit de l’apport de ses travaux sociologiques la réflexion sur nombre de questions qui se posent aujourd’hui aux hommes et aux femmes de gauche.
Le point de départ est sans complaisance :
« On peut dire en termes psychanalytiques : la gauche a le choix entre la mélancolie, qui interdit de se dégager du passé , l’oubli, qui la projette dans l’avenir au risque de perdre son âme, et le deuil, travail sur elle-même qui lui permet d’assumer son passé, d’en tirer profit et d’en conserver les orientations les plus nobles […]. La prochaine gauche se situe précisément dans la perspective de ce deuil, et de ces efforts pour tenir compte des changements culturels et sociaux de la société française et leur apporter une écoute et un relais politiques » (p. 52)
A partir de ce constat, Michel Wieviorka propose dans ce livre des analyses approfondies – des critiques, au sens kantien du terme – d’expressions souvent utilisées et dont il débusque les présupposés ou certains effets pervers : multiculturalisme, mixité sociale, codéveloppement, intégration, discrimination positive. Sur chacun de ces termes, l’analyse est approfondie, les intentions reconnues, les réussites notées, les faux-semblants relevés et les impasses ou contradictions mises en lumière.
Michel Wieviorka analyse aussi avec lucidité les rapports de la gauche avec l’idée de nation et nous explique pourquoi il préfère la laïcité à la « post-laïcité ».
Certaines pages méritent, bien sûr, discussion.
Je m’en tiendrai à une seule et à à la référence faite, en page 198, aux ZEP.
Je serai précis. J’ai voté avec enthousiasme, jeune député, la création des ZEP présentée par le grand ministre que fut Alain Savary. Je sais combien il est nécessaire aujourd’hui comme hier de donner plus à ceux qui ont moins. Ce n’est pas cela qui est en cause, pas plus aujourd’hui qu’hier. Je m’interroge seulement aujourd’hui, suite aux travaux que j’ai menés sur ce qu’il est convenu d’appeler « politique de la ville », sur les effets négatifs du « zonage » qui en fut l’un des principaux instruments. Je crois qu’il est aujourd’hui plus que nécessaire de s’interroger sur les effets négatifs et stigmatisants du zonage, quelles que soient les bonnes intentions en vertu desquelles il a été instauré.
Ce n’est qu’un sujet de réflexion parmi d’autres. Et le grand intérêt du livre de Michel Wieviorka est, justement, d’inciter à la réflexion en abordant de front nombre de sujets essentiels qui, même s’ils font l’objet d’apparents consensus, méritent assurément d’être analysés sans complaisance aucune. En un mot, c’est un solide travail intellectuel qui sera très utile à tous les acteurs de la « prochaine gauche ».
Jean-Pierre Sueur
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