Le tram de l’agglomération a dix ans. Qu’il me soit permis d’ajouter quelques mots à ce que nos médias régionaux ont écrit, dit et montré.
Et d’abord une mise au point qui me paraît s’imposer : M. Lemaignen mérite le grand prix national de l’hypocrisie pour les propos qu’il a tenus dans La République du Centre du 20 novembre. D’autres ont eu, au moins, la pudeur et la décence de ne rien dire à l’occasion du 10e anniversaire du tram, dont chacun mesure aujourd’hui qu’il est un grand succès. Je rappelle que M. Lemaignen n’a jamais eu de mots trop durs contre ce qu’il appelait le « tram-fer » avant 2001. Élu président de l’agglomération, il s’est employé, quatre ans durant, à imposer d’autres solutions que le détestable « tram-fer », en particulier un « bus guidé » qu’il présente aujourd’hui encore comme le symbole de l’hyper modernité ! Faut-il rappeler que tout ce qui a été fait par M. Lemaignen pour tenter d’imposer cet autre mode de transport durant quatre ans a coûté fort cher aux contribuables de l’agglomération, et cela en pure perte ! M. Lemaignen réussit aujourd’hui l’exploit de faire une seconde ligne qui n’est pas en site propre et qui coûte – par kilomètre – deux fois plus cher que la première ! La première ligne fut la moins chère de France. La seconde ligne sera la plus chère de France, et sans doute d’Europe ! La première ligne fut construite sans aucun dérapage financier. La seconde additionne les surcoûts. Et quant à la tenue du chantier, chacun peut comparer et juger. Moyennant quoi, M. Lemaignen pérore, parade. Le mérite du tram lui revient assurément. Il nous expliquera bientôt que si la première ligne fonctionne, c’est grâce à lui. On reste confondu devant ces propos inénarrables et devant tant de morgue et d’hypocrisie. Quel mépris pour les citoyens dont on pense qu’ils goberont tout ! Le poids de la réalité et la force de l’histoire finissent toujours par avoir raison des imposteurs.
Un travail d’équipe
En second lieu, je veux insister sur le fait que la première ligne de tram fut l’œuvre d’une équipe. Beaucoup d’élus se sont pleinement impliqués. Sans eux, le tram n’existerait pas. Je veux citer en particulier Jean-Pierre Lapaire, mais aussi Pierre Bauchet, Monique Faller, Jean-Pierre Delport, Antoine Prost, Pierre Lanson, Guy Bombereau. Bien d’autres me pardonneront de ne pas les citer. Je veux mentionner aussi le chef de projet, Christian Buisson, et toutes les équipes de maîtrise d’œuvre, de la Semtao, de l’agglomération, de l’agence d’urbanisme, des villes d’Orléans, de Fleury, d’Olivet, les entreprises, les architectes. Là encore, je ne suis pas exhaustif. Ce fut un formidable travail d’équipe, ou plutôt d’équipes au pluriel.
Une commission d’enquête catastrophique
Je veux dire combien les conclusions de la commission d’enquête qui a été désignée pour statuer suite à l’enquête nécessaire pour l’obtention de la « Déclaration d’Utilité Publique », sans laquelle les travaux ne pouvaient pas commencer, ont été pénalisantes, absurdes et, en un mot, catastrophiques !
Les commissaires enquêteurs ont, en effet, émis deux réserves qui nous ont fait perdre près de deux ans. Ces réserves ne pouvaient être levées que par le Conseil d’Etat, qui les a levées, en effet. Mais le mal était fait.
Qu’on en juge !
Première réserve : on nous demandait de faire un autre pont à côté du pont George V (Pont Royal) pour faire passer le tram. C’était absurde, parce qu’aucun architecte des bâtiments de France, aucun ministre de la Culture n’aurait accepté une telle aberration, qui aurait défiguré le plus beau site d’Orléans. On voit aujourd’hui que le passage du tram sur le pont George V ne porte en rien préjudice au site, tout au contraire !
Deuxième réserve : la Commission d’enquête jugeait qu’il était aberrant de passer dans le quartier du Larry à Olivet, au motif qu’à l’époque il n’y avait personne dans ce quartier… Les commissaires enquêteurs oubliaient simplement que si le tram n’avait pas desservi ce quartier, il n’y aurait pas eu de tram… car la Ville d’Olivet n’aurait pas accepté – et c’est compréhensible ! - que le tram ne desserve pas une partie significative de son territoire. Ils oubliaient surtout qu’il était justement judicieux et intelligent de construire un nouveau quartier à partir de ce tram. C’est ce qui s’est fait au fil des années : autour du tram, il y a aujourd’hui une clinique, des logements, une maison de convalescence, des équipements scolaires et sportifs… Tout le quartier s’est constitué autour du tram et avec lui. C’est plus pertinent que de démolir des immeubles pour faire passer un tram !
J’ajoute que le Conseil d’Etat a exigé que les problèmes de domanialité fussent réglés préalablement à la déclaration d’utilité publique (ce qui n’est plus nécessaire aujourd’hui, suite à un amendement que j’ai fait voter au Sénat !). Or, le pont George V appartenait alors au Conseil général. Il a donc fallu que ce dernier le vende à l’agglomération. Et certains conseillers généraux ont vu là l’occasion de retarder encore le projet – ce qui fut fait.
Depuis que le Conseil général du Loiret existe, il n’y a eu qu’un seul vote par appel nominal. Ce fut pour la vente de ce pont ! Je garde la liste de ceux (la majorité) qui ont voté pour et de ceux qui, pour d’évidentes raisons politiques, ont voté contre. Cela reste instructif.
Au total, si les commissaires enquêteurs n’avaient pas fait un rapport aussi absurde… le tram aurait été mis en circulation beaucoup plus tôt… et bien des choses auraient changé.
Mais je ne regrette rien. Quand on exerce les responsabilités de maire et de président d’une agglomération, il faut faire ce qu’on croit juste. Le jugement que les habitants de l’agglomération portent aujourd’hui sur le tram me conforte dans cette philosophie.
Un itinéraire « porteur d’avenir »
Il y eut bien des débats sur le tracé du tram.
Le plus simple aurait consisté, en particulier, à aller tout droit de la gare d’Orléans à la gare de Fleury les Aubrais en passant devant la maison d’arrêt. L’ennui, c’est qu’avec cette solution on passait, durant deux kilomètres, sur une voie où il y avait d’un côté le cimetière (donc peu de clients pour le tram !) et de l’autre côté les rails de la SNCF (donc peu de clients non plus !)
D’où l’idée – élaborée par l’Agence d’Urbanisme – de choisir le tracé actuel en passant par l’avenue de Paris d’abord – qui, du coup, s’est trouvée requalifiée avec une pelouse centrale et une double rangée d’arbres. Après l’avenue de Paris, la rue de la Gare – et là, que de critiques, attisées, en particulier par M. Lemaignen dans sa rage de pourfendre le « tram-fer » ! Mais si l’on passait par le rue de la Gare, c’était pour desservir la cité Coligny, le nouveau quartier Coligny, construit depuis, et le secteur Châteaudun-Faubourg Bannier. Assurément, ce tracé n’était pas le plus facile à réaliser mais il était beaucoup plus judicieux car il permettait de desservir bien davantage d’usagers que si le choix avait été de passer entre le cimetière et la voie de chemin de fer !
De surcroît, avec un « embranchement » on pourrait, en une station, desservir les Blossières et, avec deux ou trois stations supplémentaires, desservir Saran et la partie nord de l’agglomération.
Ce qui renvoie à un autre sujet.
Une ligne de tram ne peut pas – ne doit pas – être pensée indépendamment de tous les projets concernant les équipements et l’urbanisme.
Pour ne prendre qu’un exemple, la première ligne de tram dessert le Zénith : son entrée n’est qu’à quelques mètres d’un arrêt de tram.
Il est légitime de vouloir un grand équipement sportif dans notre agglomération (même s’il faut préciser, en concertation avec le mouvement sportif et les usagers, sa capacité et ses fonctionnalités). Mais il est impératif qu’un tel équipement soit desservi par le tram. On ne va pas faire des hectares de parkings inutiles à l’heure du « Grenelle de l’Environnement » !
Or, ce qui est aberrant avec le projet de l’Arena à l’Ile Arrault, c’est que si ce projet était réalisé, il ne serait desservi ni par la première ni par la deuxième ligne de tram…
Le tracé choisi pour la première ligne rend, au contraire, possible un prolongement vers le nord qui permettrait cette desserte si on choisissait d’installer un grand équipement sportif dans le nord de l’agglomération, ou d’ailleurs vers le sud, si on faisait ce choix…
Au total, rien n’est neutre. Une ligne de tram, c’est indissociablement un mode de transport écologique et un projet urbain. Encore faut-il qu’il y ait un projet urbain !
Jean-Pierre SUEUR
>> Orléans Soir, France 3 Centre, 19 novembre 2010
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