Charles Péguy

 Les articles de Jean-Pierre Sueur

Les rythmes d'Ève Renaissance de Fleury 01/04/1983
Pour une poétique d'Ève
Amitié Charles-Péguy
n°36
01/10/1986
(en collaboration avec Julie Sabiani)
Amitié Charles-Péguy
n°49
01/01/1990
(en collaboration avec Julie Sabiani)
Amitié Charles-Péguy
n°54 - colloque
01/04/1991
(en collaboration avec Julie Sabiani)
Amitié Charles-Péguy
n°63
01/07/1993
L'écriture poétique dans la première "Jeanne d'Arc" de Charles Péguy Mémoires de l'Académie d'Orléans - 1998 01/01/1998
Une relecture de "Notre jeunesse" Le Porche n°3 01/01/1998
La première Jeanne d'Arc, Genèse d'une écriture
Amitié Charles-Péguy
n°82 - Colloque
01/04/1998
Un débat difficile
Le Porche n°8
Colloque
01/12/2001
Ce que disait Clio
Amitié Charles-Péguy
n°100
01/10/2002
Ève, les vertiges de l'écriture Colloque  03/12/2006
Ève, le monde moderne et l'art en contrepoint Péguy au coeur  2011
Charles Péguy et l’acte poétique Colloque 06/12/2013
Ramuz, lecteur de Péguy Les Amis de Ramuz, n°35 03/2015
Dictionnaire Charles Péguy, sous la direction de Salomon Malka : "Jaurès", "Poésie", "Socialisme" Edtions Albin Michel 2018
Ramuz, lecteur de Péguy Les Amis de Ramuz, n°35 03/2015
Avant-propos de La Loire de Charles Péguy Editions La Guêpine 092022
Péguy est-il illisible ?
Renaissance de Fleury
 
12/2022

Compte-rendus et textes parus sur Internet

L'argent, un centenaire oublié   28/10/2023
Les héritiers de Charles-Péguy Damien Leguay 05/05/2014
La mort du lieutenant Péguy, 5 septembre 1914 Jean-Pierre Rioux 01/09/2014
Péguy l'inclassable Géraldi Leroy 01/09/2024
Sur Charles Péguy : pour en finir avec le « grand poète catholique »   29/02/2016
Julie Sabiani   18/04/2016
Géraldi Leroy, mon ami   15/12/2016
2 000 vers inédit de Charles Péguy enfin publiés Romain Vaissermann 29/05/2017
Charles Péguy, l'initiation Claude Louis-Combet 11/09/2017
Dictionnaire Charles Péguy Salomon Malka 01/10/2018
Parking Péguy Charles Coustille 30/09/2019
Quand Sébastien Le Roy illustre Charles Péguy   08/06/2020
Sur le cinquantième numéro de la revue "Le Porche"   23/11/2020
Quand Charles Péguy nous parle des épidémies   21/12/2020

 

 

Article paru dans le numéro de décembre 2022 de la revue La renaissance de Fleury
 
Péguy est-il illisible ? À ceux qui poseraient cette question singulière, je répondrais immédiatement que le fait même qu’ils la posent… démontre qu’ils ne l’ont pas lu ! Car est-il, justement, un écrivain plus lisible que Charles Péguy ?
Ouvrons pour commencer Les Mystères publiés à la fin de sa trop courte vie, entre les années 1910 et 1913 – et dont le premier reprend en partie la première Jeanne d’Arc parue en 1897.
Lisons – c’est un exemple entre cent ou mille autres – la description de la Nuit à laquelle s’adresse son Créateur dans Le Porche du mystère de la deuxième vertu :
 
« Nuit, tu es la seule qui panses les blessures
Les cœurs endoloris. Tout démanchés.
Tout démembrés.
Ô ma fille aux yeux noirs […]
Ô ma nuit étoilée, je t’ai créée la première
Toi qui endors, qui ensevelis déjà
Dans une Ombre éternelle
Toutes mes créatures.
Les plus inquiètes, le cheval fougueux,
La fourmi laborieuse
Et l’homme, ce monstre d’inquiétude. »[1]
 
Dans ce texte, et tant d’autres, nulle obscurité – si ce n’est celle de la Nuit, dotée cependant de belles clartés. Est-il une littérature moins limpide, moins fluide que celle-là ?
Ce qui caractérise cette écriture c’est sa transparence. Nul apprêt. Le sentiment que les mots coulent de source. Nulle figure qui viendrait orner pesamment le cours du texte, comme d’inutiles et de surabondantes fioritures. Une rhétorique de la simplicité, qui semble l’inverse de la rhétorique. Nombre de figures de style, de comparaisons et de métaphores cependant, mais apparaissant de manière très naturelle.
Qu’on ne s’y trompe pourtant pas. Cela a demandé à l’écrivain beaucoup de temps, de marches inspirées dans Paris ou la campagne, de réflexions – en un mot de travail !
Pour certains, cette écriture aurait finalement le tort d’être trop transparente, et de souffrir de mièvrerie, comme d’anciens catéchismes.
Mais, là encore, quelle erreur !
C’est le contraire d’une littérature infantilisante.
Les rapports de Péguy à la foi furent – on le sait – complexes. Ce serait une erreur, trop souvent faite, hélas, que de voir en lui, y compris quand il revient à une foi qu’il a délaissée, un simple fidéiste.
Non, il y a dans l’Église des choses qui le révulsent. Et il y a dans la religion de sublimes raisons de croire, auxquelles il adhère. Il y a aussi des réalités qu’il ne comprend pas et qui le révoltent. Ainsi le Mal. La petite Jeanne d’Arc ne peut accepter qu’il y ait des damnés. Elle considère que c’est un scandale. Cette question travaillera, torturera Peguy.
Jeanne se propose de se donner tout entière pour « sauver les damnés ». Et Madame Gervaise lui répond avec une totale brutalité :
 
« Taisez-vous ma sœur : vous avez blasphémé.
Car si le fils de l’homme, à son heure suprême
Clama plus qu’un damné l’épouvantable angoisse
Clameur qui sonna faux comme un divin blasphème
 
C’est que le Fils de Dieu savait que la souffrance
Du fils de l’homme est vaine à sauver les damnés.
Et s’affolant plus qu’eux de la désespérance,
Jésus mourant pleura sur les abandonnés. »[2]
 
On le voit : nulle mièvrerie – pas plus que dans le récit de la Passion que Péguy décrit avec un total, un absolu, réalisme :
 
« Sa gorge lui faisait mal.
Qui lui cuisait.
Qui lui brûlait.
Qui lui déchirait.
Sa gorge sèche et qui avait soif.
Son gosier sec.
Son gosier qui avait soif.
Sa main gauche qui brûlait.
Et sa main droite.
Son pied gauche qui lui brûlait.
Et son pied droit.
Parce que sa main gauche était percée.
Et sa main droite.
Et son pied gauche était percé.
Et son pied droit.
Tous ses quatre membres.
Et son flanc qui lui brûlait.
Son flanc percé.
Son cœur percé.
Et son cœur qui lui brûlait.
Et son cœur consumé d’amour.
Son cœur dévoré d’amour. […]
 
Et c’est alors qu’il sut la souffrance infinie
C’est alors qu’il connut, c’est alors qu’il apprit
C’est alors qu’il sentit l’infinie agonie
Et cria comme un fou l’épouvantable angoisse. 
Clameur dont chancela Marie encor debout »[3]
 
Mais, nous dira-t-on, tous les textes de Péguy ne procèdent pas du même réalisme, de la même transparence que Les Mystères. Et il est vrai que l’écriture de Péguy relève de plusieurs registres, même si, on le verra, tout s’enchaîne et si les uns préparent les autres.
Ainsi, dans les multiples textes en prose qu’il a publiés dans Les Cahiers de la Quinzaine créés par Péguy en 1900 pour « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste »4, qui relèvent à la fois du journalisme et de la réflexion philosophique, politique, religieuse, de l’étude de mœurs, de la description, de la dénonciation, de la diatribe, de l’admonestation, de l’invocation, Péguy se met constamment en scène. Il ne triche pas. Il est lui-même.
Et ce qui frappe, au-delà de la très grande diversité des écrits et des sujets traités, c’est une tendance qui culminera, avec le temps, dans ses dernières œuvres en prose et œuvres posthumes, en vertu de laquelle le mouvement de la pensée et le mouvement de l’écriture font un, sont un. Il théorise cela dans l’un de ses ouvrages intitulé Clio : « Un texte devient illisible aussitôt que nous avons l’impression que la main attend après la tête, que la plume attend la pensée »5. Et quand il est emporté, entraîné dans le mouvement de l’écriture, il ne s’arrête pas, il continue, il va jusqu’au bout « comme un cheval qu’on crève. »6
Cela a une conséquence. C’est que Péguy nous offre, nous restitue l’écriture s’écrivant7. Il n’y a pas de brouillon, pas de premier état du texte avant le deuxième ou le troisième (même si l’étude des manuscrits montre qu’il peut aussi peaufiner ses œuvres).
C’est une conception, à certains égards, moderne de l’écriture. La conséquence, c’est qu’il faut se laisser entraîner, se laisser emporter par une prose qui est premier jet, quitte à revenir ensuite sur elle-même, à s’écarter du premier mouvement, à y revenir, pour aller plus loin, et ainsi de suite. Alors, si l’on accepte ce postulat, oui, Péguy est lisible, encore et toujours plus lisible.
Prenons, presque au hasard, son livre sur Victor Hugo – Victor-Marie, comte Hugo8 – dans lequel Péguy parle de Victor Hugo, mais surtout de lui-même – sans le dire. On y lit, s’agissant de l’une des strophes de Booz endormi9 que nous sommes« dans ce sédiment, dans ce grand limon, et Ruth se demandait, en fin de strophe, annonçant la strophe décisive, la strophe coronale, l’isolant, la coupant aussi, la laissant suspendue, en suspens, suspendue sur notre tête comme une montagne carrée… »10 Il faudrait tout citer, mais on ne le peut pas. Car tout s’enchaîne. Péguy écrit que la même strophe est « lançante ». Et qu’elle nous mène à ces vers sublimes :
« Quel dieu, quel moissonneur d’un éternel été
Avait en s’en allant négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. »11
 
Péguy explique magnifiquement combien, de vers en vers, avec même des vers « de remplissage »
- mais du remplissage « de lui » dit-il12 –, le mouvement se cristallise en des formules lapidaires.
… Mais Péguy parle de lui ! Il suffit de le lire, de se laisser entraîner par le flux de son écriture pour trouver, par exemple dans Notre Jeunesse, cette phrase qui restera dans les mémoires : « Tout commence en mystique et finit en politique. » Et on lit un peu plus loin : « L’essentiel est que dans chaque ordre, dans chaque système, la mystique ne soit point dévorée par la politique à laquelle elle a donné naissance. »13
Et il faut pareillement se plonger dans les œuvres en vers dont on peut penser qu’elles ont été préparées par les œuvres en prose qui les ont précédées (ou ont été publiées concomitamment).
Le principe est le même. Le mouvement de la pensée et celui de l’écriture sont indissociables.
Certes, il y a les règles de la versification. Mais à ceux qui y verraient des contraintes, je répondrai plutôt que ces mêmes règles (auxquelles s’apparentait celle des trois unités) n’ont pas empêché Corneille ni Racine d’écrire leurs chefs-d’œuvre. J’ajouterai même : au contraire. Ainsi, s’agissant de poèmes célèbres comme la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Paris :
« Étoile de la mer, voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés […]
 
Étoile du matin, inaccessible reine
Voici que nous marchons vers notre votre illustre cour
Et voici le plateau de notre pauvre amour.
Et voici l’océan de notre immense peine. »14
 
ou s’agissant de cette immense épopée intituléeÈve, chef-d’œuvre méconnu :
« Ô mère ensevelie lors du premier jardin
Vous n’avez plus connu ce climat de la grâce
Et la vasque et la source et la haute terrasse
Et le premier soleil sur le premier matin.
 
Et les bondissements de la biche et du daim
Nouant et dénouant leur course fraternelle
Et courant et sautant et s’arrêtant soudain
Pour mieux commémorer leur vigueur éternelle. »15
 
Le cadre rythmique, mais aussi syntaxique, est pleinement magnifié par Péguy qui nous explique, s’agissant d’Ève, dans un commentaire lumineux16, que ce poème procède de l’art de la tapisserie. Il est à l’entrecroisement d’une lecture horizontale, linéaire, et d’une lecture verticale où les mots changeants situés aux mêmes places, de vers en vers, composent une autre syntaxe et, partant, d’autres significations. C’est aussi, si l’on veut, une symphonie.17
 Et là encore s’agissant toujours d’Ève, œuvre - indissociablement- lyrique, épique et satirique, œuvre circulaire, dont l’objet est l’histoire de l’humanité et du Salut, défiant la chronologie, comme les idées toutes faites, il faut se laisser entraîner, envahir, faire corps avec la force de la création littéraire. Mais qui dira, dès lors qu’on laisse le mouvement, la respiration, les rythmes, les scansions propres du poème nous guider et nous emporter, que ce n’est pas lisible ?
Restent les quatrains :
« Cœur qui a tant battu
D’amour et de haine
Cœur qui ne battra plus
De tant de peine. »18
 
poèmes lyriques, poèmes d’amour et de doute que Péguy nous a laissés, chaque strophe sur une page différente, si bien qu’on n’est pas sûr de l’ordre dans lequel il faudrait les lire19, qui, une fois encore, défient le commentaire. Il suffit, à nouveau, de se laisser entraîner : ce sont les poèmes d’un cœur qui a tant battu.
Au total, victime de récupérations successives, de malentendus, d’idées toutes faites (Péguy écrivait : « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée, c’est d’avoir une pensée toute faite »20), la rumeur selon laquelle  Péguy serait illisible a pu prospérer. Mais comme toutes les rumeurs, celle-là n’est pas la vérité, elle est même le contraire de la vérité ! J’espère vous en avoir persuadé. Et si vous ne l’étiez pas encore, je me permets un conseil : lisez-le !
Jean-Pierre Sueur
 

[1] Charles Péguy, Œuvres poétiques et dramatiques (désormais OPD), Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, p. 764.
[2] OPD, p. 117 et 464
[3] OPD, p. 472, 473 et 523
4  Charles Péguy, Œuvres en Prose Complètes (désormais OPC), Bibliothèque de la Pléiade, éd. Gallimard ; p. 291-292
5  OPC III, p.  1102
6  OPC III, p. 1103
7  Voir à ce sujet le dialogue entre Jean-Pierre Sueur et Éric Thiers, Amitié Charles Péguy, n° 175, juillet-septembre 2021, p. 235 à 248
8  OPC III, p. 161 à 345
9  Victor Hugo, La légende des siècles, D’Ève à Jésus, VI
10  OPC III, p. 261-262
11  Victor Hugo, ibid.
12  OPC III, p. 261
13  OPC III, p. 20
14  OPD, p. 1139-1140
15  OPD, p. 1177
16  OPD, p. 1518 à 1537
17  Sur Ève, tapisserie et symphonie, voir Jean-Pierre Sueur : Charles Péguy ou les vertiges de l’écriture, éd. du Cerf, 2021, p. 102 à 201
18  OPD, p. 955
19 Voir Julie Sabiani : La Ballade du cœur, poème inédit de Charles Péguy, éd. Klincksiek, 1973
20 Note conjointe sur M. Descartes, OCP III, p. 1278 à 1477

 

Jean-Pierre Sueur a publié aux éditions « La guêpine » un texte méconnu, et pourtant « fabuleux », de Charles Péguy sur la Loire. Ce texte est précédé, dans cette édition, d’un avant-propos de Jean-Pierre Sueur, qui en souligne toute l’importance.
Cette description de la Loire et de sa vallée qui s’étend à ses châteaux et aux poètes qui l’ont chantée est l’épilogue d’un long article publié en 1907 dans Les Cahiers de la quinzaine sous le titre – « peu porteur », écrit Jean-Pierre Sueur, « De la situation faite au parti intellectuel dans le monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle » – et repris entre les deux guerres avec d’autres textes sous le titre « Situations » dans une édition aujourd’hui introuvable.
Jean-Pierre Sueur écrit que Charles Péguy y décrit la Loire « en une écriture emphatique qui transporte et emporte ceux qui acceptent de se laisser emporter et de partager avec lui, au-delà des convenances de la rhétorique, les labeurs, les souffles, les grandeurs et les fulgurances de l’écriture. »
 
 

Jean-Pierre Sueur a publié en mai 2021 un livre intitulé Charles Péguy ou les vertiges de l’écriture entièrement consacré à l’écriture de Charles Péguy, une écriture sans pareille, « vertigineuse », indissociable de sa pensée, une écriture qui est « sa vie même. »
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ce livre est publié aux éditions du Cerf (256 pages, 22 €) et sera en librairie à partir du 12 mai

Nous sommes en mesure de présenter en vidéo l’intégralité du débat sur « Péguy et la critique du monde moderne » qui a eu lieu le 13 septembre 2014 à Orléans entre Yann Moix, était animé par Pierre-Édouard Deldique (durée : 1 h 47).

 >> Voir la vidéo

 

Article paru dans le 100e numéro de la revue de L'Amitié Charles Péguy (octobre-décembre 2002)

Le Porche n°8, 1er décembre 2001

Aimez-vous Orléans, page 256-257

 

L'avouerai-je ? L'un de mes plus difficiles débats politiques eut lieu lors de la première réunion du conseil d'administration du lycée orléanais, nouvellement construit, qui devait s'appeler : « Lycée Charles-Péguy ». L'ordre du jour portait précisément sur la dénomination du lycée. Je dus batailler ferme devant les réticences de la plupart des représentants des parents d'élèves, des élèves, et même d'une partie de ceux des enseignants, pour obtenir finalement qu'une faible majorité se prononçât en faveur de notre grand poète. Certains des arguments invoqués étaient étonnants : Péguy, on ne connaissait pas, ou peu ; ce n'était pas moderne, c'était ancien, vieux, peu porteur. Tout cela était dit, répété, dans un établissement de l'enseignement public, à Orléans. Si le vote n'avait pas, en définitive, été positif –merci à celles et à ceux qui l'ont permis ! – j'aurais fait, je crois, une polémique publique. Vieux, Charles Péguy ? Sa pensée n'avait jamais été aussi actuelle qu'en cette fin du XXe siècle - cette pensée qui conteste tous les systèmes, qui fait un sort à tous les modernismes, qui prévoit et dénonce déjà tous les totalitarismes... Pas connu, Péguy ? Peut-être, en effet... A Orléans, pourtant, plus qu'ailleurs, nous avons des raisons de nous donner le mal et la joie de connaître son œuvre immense et de tordre le cou à la malédiction : « Et les siens ne l'ont pas reconnu... » Je songeais à cela en relisant les textes des communications au colloque organisé, en 1996, à Saint-Pétersbourg, par le Centre Jeanne d'Arc-Charles Péguy de cette ville. Je me suis souvenu avoir entendu, lors de ce colloque, des professeurs russes qui n'avaient pas hésité à faire des centaines de kilomètres, depuis le plus profond de ce vaste pays, dans des conditions souvent difficiles, pour venir nous parler des Cahiers de la Quinzaine. Ce colloque était passionné, passionnant. Les exposés traitaient des formes, du sens et de l'histoire. C'était ma première visite à Saint-Pétersbourg. La ville semblait constituer un monde, à elle seule. Son fleuve était un océan. Ses palais ouvraient sur le ciel blanc leurs longs alignements. Les places étaient nombreuses et vastes, peuplées d'arbres d'automne et de statues. Au-delà il y avait des centaines d'immeubles, composant d'interminables banlieues. À l'intérieur de ces immeubles, nous étions accueillis avec une incomparable chaleur. Il y avait l'amitié et les fleurs. C'était le temps où tout changeait. L'ordre ancien était partout encore. Les espoirs neufs étaient inscrits sur les visages, les déceptions aussi. Les mafias avaient débarqué avec leur richesse et leur morgue tonitruante. Des enseignants, des universitaires s'employaient à bâtir, avec une rare ténacité, un autre futur en attendant des salaires qui n'arrivaient pas. Il y avait un vent sec et une lumière diaphane. Tous les participants au colloque partageaient, au milieu de tout cela, la même ferveur. Nous sommes devenus, souvent, trop repus, indifférents et cyniques. Alors, Péguy, trop vieux ? J'aimerais que nous nous souvenions, à Orléans, qu'il y a des péguystes qui n'hésitent pas à prendre le transsibérien pour venir nous parler de vers que nous avons oubliés.

Jean-Pierre Sueur

Texte paru dans le numéro 8 de la revue "Le Porche" de l'Association du Centre Jeanne d'Arc - Charles Péguy de Saint-Pétersbourg, qui contient les actes du Colloque d'Orléans qui s'est tenu les 11 et 12 mai 2001.

Le texte de Jean-Pierre Sueur constitue l'indroduction au colloque.

Article paru dans le numéro 82 de "L'Amitié Charles Péguy" (avril-juin 1998) consacré au colloque international organisé à l'occasion du Centenaire de la "Jeanne d'Arc" de Péguy (1897-1997).

Article paru dans le numéro 3 de "Le Porche", bulletin de l'association des Amis du Centre Jeanne d'Arc Charles-Péguy de Saint-Péterbourg.

Article paru dans les Mémoires 1998 de l'Académie d'Orléans (VIe série, tome 7), paru en 2000.

Il s'agit d'une nouvelle version de "La première Jeanne d'Arc, génèse d'un écriture" ("L'Amitié Charles Péguy" n°82)

Article paru dans le numéro 54 du bulletin d'information et de recherches de "L'Amitié Charles Péguy".

L'article fait le bilan d'un colloque sur 'Péguy et Orléans" qui s'est tenu à Orléans le 6 avril 1991.

Article paru dans le numéro 36 de "L'Amitié Charles Péguy".

Article paru dans le numéro 22 du bulletin d'informations et de recherches de "L'Amitié Charles Péguy".