Je tiens à signaler le livre récemment paru de Gérard Grunberg : « La loi et les prophètes. Les socialistes français et les institutions politiques » (CNRS éditions) qui propose une très remarquable analyse des relations entre le mouvement socialiste français et la question des institutions, « le gouvernement des personnes fait place à l’administration des choses et à la direction des opérations de production » (p. 16) – autrement dit, ce qu’on appellera socialisme se traduira par la fin de ce qu’il est convenu d’appeler le politique.
Un peu plus loin, Gérard Grunberg fait le constat très fort selon lequel le refus, l’incapacité de penser le politique et le caractère impensable de celui-ci, au-delà du changement radical de société auquel le mouvement socialiste aspire et pour lequel il se bat, engendreront des désastres idéologiques et pratiques de grande dimension.
A rebours de ces conceptions, Jaurès s’est employé, on le sait, à réaliser une synthèse entre l’idéal socialiste et les principes républicains. Il a témoigné à la fois son attachement au suffrage universel et à la représentation parlementaire.
Avec l’avènement de la Cinquième République, et en 1962, l’élection du président de la République au suffrage universel, le Parti Socialiste est pris écrit Gérard Gungerg « dans une contradiction grandissante. D’un côté, il a su, dans ce cadre des institutions de la Cinquième République, devenir l’un des deux grands partis de gouvernement […]. D’un autre côté, il demeure hostile idéologiquement et culturellement à une évolution du régime représentatif dont la forte présidentialisation n’est qu’une des dimensions. Ses appels récurrents à une Sixième République traduisent, en réalité, une volonté de résister à une évolution générale qui implique une profonde transformation de son modèle partisan » (p. 346).
Alors que le parlementarisme a inspiré les modes de fonctionnement et les institutions propres au Parti Socialiste, voilà que les mœurs de la Cinquième République le pénètrent à leur tour et rendent caduc le modèle parlementariste qui lui a servi de matrice.
J’en prendrai trois exemples.
Le premier fut la décision d’élire le premier secrétaire du parti au suffrage universel direct par les adhérents en analogie avec l’élection du président de la République au suffrage universel.
Second exemple : les conséquences pour le Parti socialiste du quinquennat et du changement de date des élections législatives et présidentielle, les premières suivant désormais la seconde. La conséquence en est claire : il fait, de manière plus explicite encore qu’auparavant, des élections législatives le simple prolongement de l’élection présidentielle. Il s’ensuit un accroissement de la logique présidentielle qui remet d’actualité le débat sur le scrutin proportionnel.
Troisième exemple : les primaires. La logique des primaires conduit à s’interroger sur l’identité et les fonctions du Parti socialiste, comme des autres partis d’ailleurs.
Dans la logique d’il y a cent ans, les militants disposaient de l’information sur les positions en présence dans les congrès ; ils définissaient leurs positions ; ils désignaient leurs représentants aux congrès et dans les instances internes ; ils désignaient leurs candidats aux élections.
Rien de cela ne subsiste : l’information est largement partagée ; les débats internes sont d’abord externes ; les candidats du parti ne sont plus désignés par leurs seuls membres – et cela s’étend désormais du plan national aux élections locales.
Ainsi, le modèle parlementaire du parti est battu en brèche.
En même temps, le « politique » a pris toute la place – même si, d’une certaine manière, l’idéologie a symétriquement vu sa part d’influence régresser. On dira que cela nous mène loin des questions institutionnelles. Pas vraiment. Car, justement, le grand mérite du livre de Gérard Grunberg est de mettre au grand jour et d’analyser tout ce que ces questions révèlent au-delà de ce qu’elles désignent.
Jean-Pierre Sueur
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