Arnaud Ardoin est journaliste. Il habite près d’Orléans. C’est à Orléans qu’il a commencé à exercer son métier avant de travailler pour plusieurs chaînes de télévision. Il est présentement rédacteur en chef adjoint à LCP, des intellectuels et des experts permettent le plus souvent d’aller au fond des choses et donc de dépasser les contradictions trop simplistes et superficielles.
Arnaud Ardoin vient, pour la première fois, de prendre (du moins en apparence) quelque distance avec son métier et de publier aux éditions du Rocher un livre intitulé « AZF, une affaire au sommet de l’Etat » qui s’apparente, comme on voudra, à un roman, à un polar, à un thriller, à un tableau de mœurs ou à un pseudo-reportage.
On y croise des représentants des différents métiers – et différentes chapelles – de la police, des journalistes, des politiques, des membres de cabinets de la présidence de la République ou de ministères, de doux (ou dangereux ?) gauchistes qui font penser aux protagonistes de l’affaire de Tarnac. On y croise l’actualité : des menaces terroristes, une appellation qui renvoie à l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, les luttes et les conflits internes à la police, les connivences avec les journalistes, la question des écoutes, de la géolocalisation, et aussi une source de rivalité entre le président de la République et le ministre de l’Intérieur…
On le voit : on est dans la fiction – mais pas vraiment puisque cette fiction est constituée de fragments de vérité qui, sous d’autres noms, s’agencent, se combinent, créent des mélanges étonnants ou détonants.
Je ne révèlerai naturellement ni le début, ni le milieu ni la fin de l’histoire. Je me contenterai de noter ici un réel bonheur d’écriture. Arnaud Ardoin portait en lui depuis longtemps, à force de suivre l’actualité, le projet d’écrire une fiction qui – c’est le paradoxe et l’intérêt de l’‘entreprise – est plus vraie que nature. L’actualité, d’ailleurs, est souvent plus inattendue que ce que les auteurs de fiction imaginent : il suffit de la suivre pour s’en rendre compte.
Arnaud Ardoin fait vivre son héros principal à Orléans. C’est un policier qui travaille à Paris. Celle qui deviendra sa compagne habite aussi à Orléans – et travaille aussi à Paris.
C’est une situation – comme on l’a vu – que notre auteur connaît bien.
Il la connaît si bien que le « train de 20 h 47 » qu’il faut attraper à Austerlitz – faute de quoi on est condamné à une longue attente, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années – tient une grande place dans le récit*.
Et cette histoire qui se déroule pour une part non négligeable dans ces trains qui relient Paris à Orléans propose une description poétique de ce train et de la vie de ces « pendulaires ». Une description sociologique aussi.
On lit ainsi : « A sept heures du matin, sur le quai, les voyageurs sont gris » (p. 138) ; « On est des esclaves du rail, 300 jours loin de notre famille pour gagner quoi ? » (p. 216) ; « Il pensa à Cercottes, la base secrète de la DGSE perdue au milieu de la forêt, et se demanda si les agents secrets voyageaient en seconde classe » (p. 206) ; « Dans le wagon, tous les habitués étaient présents. L’inconnue à l’anorak, qu’elle portait été comme hiver, le téléphone collé à l’oreille, l’homme aux baskets rouges, le visage renfrogné des mauvais jours et tous ces visages anonymes qui, pour beaucoup, figuraient en photo sur un disque dur ou sur son mur et partageaient ses voyages depuis tant d’années » (p. 206) ; « Il venait de quitter une réunion (…) pour ne pas rater le 20 h 47, ce que le chef avait modérément apprécié » (p. 205).
Je cite encore pour finir les premières phrases de l’ouvrage : « Deux heures aller et retour en train entre Paris et Orléans depuis vingt-deux ans ! Il n’avait pas compté ce que représentait cette navette quotidienne en jours, en mois (…). Il appartenait à cette tribu d’hommes et de femmes fatigués, qui (…) n’avaient jamais réussi à assister à une réunion de parents d’élèves et toujours raté le spectacle de fin d’année » (p. 7). Et j’ajoute quand même ce rayon de soleil : chaque jour, le héros du livre achète son journal à Carole, la marchande de journaux des Aubrais, « devenue une amie avec le temps ».
J’arrête là. Vous le voyez : Arnaud Ardoin est le poète des pendulaires de l’Orléans-Paris, allers et retours !
Jean-Pierre Sueur
*Soyons précis. A ce jour, le train de 20 h 47 n’existe plus. Il faut « attraper » le train de 20 h 27 à la gare d’Austerlitz…et si on le rate, il faut attendre le train de 23 h 08 !
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