Avec son livre Construction, publié aux éditions HYX, Dominique Lyon, architecte – avec Patrice du Besset – de la médiathèque d’Orléans, nous propose une vaste réflexion sur l’architecture contemporaine, son rapport aux contextes, aux situations, sur les liens entre l’architecture et l’écriture. Son livre lui-même est une construction puisqu’il rassemble l’essentiel de l’œuvre de l’agence Lyon/du Besset et nous donne à lire un itinéraire fait d’œuvres construites et d’autres – hélas ! – qui ne le sont pas, comme ce projet pour l’ambassade de France à Tokyo qu’« un caprice de ministre a condamné ». De surcroît, de page en page, cet ouvrage nous livre une méthode, plus encore qu’un itinéraire.
Cette méthode est dialectique.
Au commencement est la situation. La construction s’inscrit toujours dans une situation – un contexte – qu’elle changera. Impossible de construire en ignorant la situation. Impossible – tout autant- de construire en étant prisonnier de la situation.
Le musée Guggenheim de Bilbao n’est pas déterminé par le contexte. Il n’est pas sujétion au contexte. Ce contexte, il le malmène, le bouscule, le dépasse, le transcende.
Ainsi la médiathèque d’Orléans. Sa construction là où elle est fut d’abord – j’en puis témoigner – un choix politique – politique au sens noble du terme. Il s’agissait qu’il y eût dans la ville un quartier voué à la culture et un autre voué au commerce et à la circulation. La culture doit partout magnifier l’espace.
Il y a aussi les mails, jadis lieu de convivialité, aujourd’hui pseudo-autoroute, les mails, vrai boulevard de l’agglomération, par où on passe pour aller partout, qu’il faut assurément reconquérir. D’où la médiathèque, phare, vigie, monument classique et lumineux. Elle contribue à la reconquête des mails. Mais cette contribution est loin de suffire et il y a beaucoup à faire.
La médiathèque donc, est la vigie et le signal que toute ville, même dans ses circulations les plus envahissantes et dans ses environnements les plus arides, existe par les signes culturels qui l’organisent symboliquement.
Dominique Lyon explique cela remarquablement dans son livre. Il suffit de le citer.
« Cette construction, plus qu'aucun autre bâtiment conçu par l'agence, compose avec le contexte. Ce faisant, elle n'est pas contextuelle au sens où ce mot est entendu, car elle ne dialogue pas avec le voisinage. Elle le résout plutôt, mais sans pour autant répondre à une question qu'il poserait: il est indifférent. C'est bien elle qui pose les questions et qui s'applique à rendre l'environnement intéressant et c'est son problème. Au contexte, neutre, décomposé et brouillé jusqu'alors, elle fait valoir qu'une pièce lui manque qui va donner une image plus nette de l'ensemble. Elle advient, elle s'impose comme un évènement, et fait basculer la situation vers un équilibre satisfaisant, tout en gardant en mémoire les dynamiques en jeu. Pour tenir son rôle transformateur, elle collabore avec tous les éléments de la situation, sans les embarquer dans une fausse camaraderie architecturale {celle du « contextualisme »), sans rien perdre de sa singularité. Crânement, elle force son destin, car elle n'a pas le choix: il lui faut exister. Placée en fond d'une longue perspective, la médiathèque ne néglige en rien son rôle de monument. Comme elle ne se trouve pas si grande au bout du boulevard, elle se gonfle et n'hésite pas à s'affubler d'ornements. Un jeu de saillies sur un fond de dentelles en aluminium la pose là, précieuse, comme un cadeau empaqueté. Alors qu'à cet endroit le boulevard se casse, elle se plie pour reconstituer l'alignement le long de la voie et pour s'apparenter aux masses des grandes constructions voisines datant des années 70. Bordée qu'elle est par un bâtiment d'habitation de grande hauteur et par une église austère de style gothique, elle prend l'ascendant sur le premier en lui tournant légèrement le dos et en s'arrangeant pour que sa longueur soit au moins égale à la hauteur de ce grand voisin. Comme elle ne veut pas sembler moins bien faite que la seconde, sa matière d'aluminium est travaillée avec autant de soin que la pierre de sa voisine consacrée ; mais elle restera pimpante quand l'autre continuera d'être noircie par le temps et par la circulation des automobiles, par ces voitures qui passent près d'elle et la voient tourner sur elle-même suivant ses cassures, pour accompagner leurs mouvements. » (pages 80-82).
Il n’est pas étonnant que Dominique Lyon cite le Francis Ponge du Parti pris des songes et ajoute « Pareillement, quand l’architecte adhère aux situations et épuise son sujet (…), sa méthode confirme l’aptitude de l’architecture à exprimer précisément la réalité qui lui est soumise, à le révéler, à le prolonger ».
Il aurait pu aussi bien citer le Sartre des Situations. La situation est une donnée. Mais elle n’est jamais inerte. Elle est vouée à la transformation – comme, indissociablement, le langage et la matière sont voués à des constructions toujours nouvelles.
Jean-Pierre Sueur
PS : je profite de la parution de ce livre pour rendre hommage à Olivier Buslot et Emmanuel Cyriaque qui font vivre depuis des années, avec une très remarquable ténacité, les éditions HYX, situées 1 rue du Taureau à Orléans. Je crains que nombre d’Orléanais et d’habitants du Loiret ignorent qu’Orléans abrite, grâce à eux, une maison d’édition internationalement reconnue, vouée à la création architecturale contemporaine. Le catalogue des éditions HYX témoigne de la grande qualité des livres qu’ils publient. Olivier et Emmanuel méritent un grand coup de chapeau. JPS
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