L’appel de Strasbourg des parlementaires socialistes français
Les députés, sénateurs et eurodéputé-e-s socialistes se sont réunis mercredi 9 et jeudi 10 septembre 2015 à Strasbourg pour des journées europarlementaires afin de définir une stratégie commune face aux défis politiques qui menacent la construction européenne. À l’issue de ces travaux, Bruno Le Roux, Président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Didier Guillaume, Président du groupe socialiste au Sénat et Pervenche Berès, Présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen ont lancé l’appel suivant.
Deux défis majeurs appellent à un sursaut collectif, à une réorientation européenne, faute de quoi la construction européenne pourrait disparaître : les mouvements de réfugiés venus de la rive sud de la Méditerranée et des Balkans d’une part, le défi d’un nouveau modèle de développement économique d’autre part.
Ces deux sujets sont intimement liés car sans solidarité, il n’y aura pas de solution viable sur la durée. La relance économique, la résorption du chômage et de la précarité, la lutte contre le dérèglement climatique, doivent aller de pair avec la solidarité dont les Européens doivent faire preuve à l’égard des femmes et des hommes qui fuient la guerre, les persécutions, la torture, le terrorisme.
Les scènes de tragédie dont nous sommes les témoins jour après jour, constituent un affront à l'humanité, à nos valeurs et à notre histoire. Les migrations ne s’arrêteront pas et aucun dispositif de dissuasion n'empêchera ces personnes de chercher ailleurs une vie meilleure.
Quelques principes doivent être martelés : tout individu en danger dans son pays a le droit de le quitter. C’est là un droit fondamental, qui entraine des obligations internationales.
Aujourd’hui, ceux qui sont des victimes dans leur pays sont obligés de risquer leur vie pour faire valoir leurs droits : parce que cette double peine est inadmissible, les parlementaires socialistes demandent à l’Europe d'accueillir les demandeurs d’asile et de garantir des voies d’entrée sûres et légales pour les migrants. Le système européen unifié d'asile doit être pleinement mis en application et une politique migratoire européenne avec des règles communes, est indispensable.
Car, c’est seulement dans la solidarité et le partage des responsabilités que l’Europe pourra faire face à ce défi. L'ouverture de centres d'enregistrement des migrants en Italie, en Grèce et peut-être en Hongrie doit être soutenue par l’ensemble des Etats européens ; la répartition équitable et obligatoire des demandeurs d'asile entre les Etats membres de l'Union est indispensable.
L’Allemagne connaît une arrivée sans précédent de demandeurs d’asile : face à cette situation, l’Allemagne a autant besoin de la solidarité européenne, qu’avant l’été, la Grèce.
Il faut lutter avec force contre l’extrême droite, qui utilise la peur comme fonds de commerce et joue les illusionnistes en prétendant pouvoir établir des frontières nationales étanches.
Autant la solidarité européenne doit permettre de réduire la pression migratoire dans certains Etats, autant, cette solidarité doit s'exprimer par des politiques de développement soutenable sur notre continent.
La réorientation européenne a déjà été amorcée. Nous avons obtenu le plan Juncker et ses 315 milliards d’euros dédiés à l’investissement sur trois ans. La mesure de politique monétaire de rachats de 60 milliards d’euros de dettes publiques et privées par la BCE va permettre, à terme, d’injecter plus de 1 000 milliards d’euros et la baisse de l’euro a déjà considérablement renforcé son économie. Le refus d’une sortie de la Grèce de la zone euro, notamment grâce à l’engagement du Président de la République François Hollande qui a conduit une action déterminée et déterminante, a permis de préserver l’intégrité de la zone euro. Et la mobilisation, sans précédent, autour de la COP 21 à Paris sont des éléments qui prouvent que le projet européen n’est pas mort et qu’il est nécessaire de le renforcer et le valoriser.
Les égoïsmes nationaux, exacerbés par un mode de décision intergouvernemental, rendent l’Union impotente. Face aux dérives qui menacent l’Europe, il est urgent de repenser la gouvernance économique européenne afin de faire vivre la démocratie et la solidarité. Les parlements nationaux, et le Parlement européen, chacun dans son rôle, doivent y travailler ensemble.
Ainsi, pour construire une Union économique et monétaire plus solide et retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi, il faut corriger ses défauts d’origine et ceux accumulés dans la gestion de la crise :
- nous voulons une analyse globale de la situation économique : la gouvernance économique de la zone euro ne peut pas se baser sur l’analyse de 19 politiques économiques nationales, étudiées séparément les unes des autres, alors que les divergences entre elles s’accroissent ;
- ensuite, il faut se donner les moyens de construire l’avenir en remettant en cause les règles budgétaires contre productives qui limitent les investissements publics et privés d’avenir. Il est temps de créer, au sein de l’Union européenne, au-delà du Plan d’investissement dit « Juncker » que nous avons obtenu, les conditions favorables à la relance de l’investissement afin de faire face aux défis de la transition écologique, du numérique, et de l’emploi ;
- la zone euro doit aussi impérativement se doter d’un mécanisme démocratique de gestion de la dette et abandonner la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, FMI). Le FMI n’a pas à gérer les crises en Europe, c’est à nous de le faire. Pour remplacer Troïka et FMI, il faut alors transformer le mécanisme européen de stabilité (MES) en un véritable Fonds monétaire européen. Cependant, changer l’instrument ne suffit pas, il faut aussi changer de remède : les désormais fameux « programmes d’ajustement » n’ont pas fait leurs preuves, ni du point de vue de la dette, ni du point de vue de la croissance, encore moins en matière sociale ;
- la question de la dette, dont le caractère insoutenable est largement reconnu, doit être traitée de manière lucide et solidaire ;
- par ailleurs, il faut clarifier la notion de « réformes structurelles », qui sont trop souvent synonymes de dérégulation du droit du travail et de baisse des salaires. Pour nous, une bonne réforme structurelle doit avoir des effets sociaux, environnementaux et économiques positifs pour l’ensemble des Européens ;
- il est nécessaire d’arriver à plus d’harmonisation sociale au niveau européen. Les valeurs sociales sont au cœur du projet européen qui se doit d’être un espace de paix, de solidarité et de progrès ;
- enfin, l’Europe a besoin de plus de démocratie, avec un renforcement du rôle du Parlement européen, des parlements nationaux et des citoyens dans la gouvernance économique ; elle a besoin de plus de convergence fiscale ; de plus de solidarité, avec l’ajout d’un pilier social fort ; de plus de budget, avec des ressources propres.
Migrations, chômage, inégalités : dans ce moment historique, pour sauver l’Europe et l’empêcher de se fracasser définitivement sur le mur des égoïsmes nationaux, nous appelons les chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi que le Président de la Commission européenne, à se saisir rapidement de ces propositions. Nous soutenons François Hollande, qui a annoncé lors de son allocution du 14 juillet dernier une initiative européenne destinée à renforcer la cohésion de la zone euro et à aller plus loin dans l’intégration économique et budgétaire. L’action des parlementaires socialistes français doit aujourd’hui nourrir et accompagner cet engagement.
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