La semaine dernière ayant été totalement occupée au Sénat par le débat sur la loi électorale, que j'ai suivi intégralement, je reviens ici sur ses principaux enjeux et les positions que j'ai défendues.
- Feu le conseiller territorial.
On s'en souvient, la création par MM. Hortefeux et Guéant du "conseiller territorial" (qui devait se substituer à la fois aux conseillers régionaux et généraux) a suscité de fortes critiques ou réserves de tous côtés. Cet élu hybride avait en effet le quadruple inconvénient de défendre le matin puis l'après-midi des collectivités distinctes, d'instaurer la confusion des genres, d'institutionnaliser le cumul des mandats et de professionnaliser la fonction élective. Et je dois dire que cette suppression s'est traduite par un soulagement très partagé, bien peu de voix s'étant élevées durant cette semaine au Sénat pour défendre ce "conseiller territorial". Cette suppression étant faite, il fallait donc redéfinir le scrutin départemental.
La parité est désormais devenue une exigence constitutionnelle. L'article premier de la Constitution dispose, en effet, depuis la réforme constitutionnelle de 2008 que : "la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats locaux et fonctions électives".
Cette disposition s"impose désormais au présent gouvernement et à la présente majorité parlementaire comme elle se serait imposée à tout autre gouvernement et à toute autre majorité.
Dans ces conditions, il me paraît incroyable que certains aient pu considérer que l’instauration de cette parité "menacerait" les départements ou entraînerait leur "mise à mort".
Quel mépris, d'abord, pour les femmes dans cette réaction ! Ce mépris s'est d'ailleurs manifesté par certains propos sexistes tenus, d'un côté de l’hémicycle au Sénat, qui ont suscité de vives réprobations – et même les justes mises au point de deux sénatrices de l'UMP.
Je rappelle qu’aujourd’hui, il y a autant d’hommes que de femmes dans les conseils municipaux des communes de plus de 3 500 habitants et dans les conseils régionaux. A-t-on constaté que, de ce fait, les communes et les régions seraient « menacées » ou « mises à mort » ? Le fait même de poser la question montre l’inanité de ces déclarations !
A partir du moment où la parité s’impose – et s’impose à juste titre –, il existe deux moyens de la mettre en œuvre.
Le premier serait l’instauration d’un scrutin proportionnel comme dans les communes et les régions, soit sur l’ensemble du territoire départemental, soit sur des sous-parties de celui-ci correspondant à des régions naturelles bien identifiées.
Les présidents de conseils généraux – et l’Association des Départements de France (ADF) qui les fédère – ont marqué leur opposition à de tels modes de scrutin, et marqué leur attachement à ce que les futurs conseillers départementaux soient élus sur la base d’un territoire précis.
Le Président de la République, François Hollande, et le gouvernement en ont tiré la conséquence en proposant un scrutin paritaire sur une base territoriale (un canton redéfini).
A ceux qui s’y opposent, je réponds que comme la parité s’impose désormais – à juste titre – s’ils s’opposent aussi à toute forme de proportionnelle (c’est, en particulier, la position de l’UMP), il n’est pas d’autre solution. Et d’ailleurs, ils n’en proposent pas.
Soyons donc positifs !
Lorsque cette loi sera votée et mise en œuvre, il y aura demain autant de femmes que d’hommes dans les assemblées départementales (comme dans les conseils régionaux et municipaux) et ce sera un progrès !
A deux reprises, le Conseil Constitutionnel a décidé que l’écart entre les populations des différentes circonscriptions électorales pour un même scrutin ne devait pas excéder +20% et
- 20%.
Interrogé par le gouvernement, le Conseil d’Etat a confirmé cette jurisprudence.
Ces décisions sont fondées sur le principe d’égalité, et par conséquent d’égalité des suffrages, qui sont inscrits dans la Constitution.
Comme les décisions du Conseil Constitutionnel s’imposent à toutes les autorités publiques, elles s’imposent au présent gouvernement, comme elles s’imposeraient à tout autre gouvernement de droite ou du centre, comme elles s’imposent et s’imposeraient à toute majorité parlementaire.
Il est donc inutile et infondé de faire des procès à cet égard.
La réalité, c’est qu’aujourd’hui, dans certains départements, les écarts entre la population du canton le moins peuplé et du canton le plus peuplé va de 1 à 40, de 1à 30, ou de 1 à 20…
Il est donc inéluctable pour tout gouvernement et toute majorité de revoir cela.
Mais nous sommes – et je suis pour ma part – très attaché à la prise en compte des territoires ruraux – comme d’ailleurs des territoires urbains. Il n’y a aucune raison de les opposer. La France est faite des uns et des autres.
C’est pourquoi je suis de ceux qui sont, et resteront, favorables à une interprétation des décisions du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’Etat qui permette de prendre en compte au mieux la ruralité – sans pour autant encourir une censure qui vouerait nos efforts à l’échec.
C’est ainsi qu’à mon initiative, la Commission des Lois, puis le Sénat ont adopté à l’unanimité un amendement qui dispose que le respect de l’écart de +20% à -20% peut donner lieu à des exceptions « justifiées par des considérations géographiques, démographiques, d’équilibre d’aménagement du territoire, par le nombre de communes ou d’autres impératifs d’intérêt général ».
La poursuite du débat au cours de la navette parlementaire doit permettre d’améliorer encore les dispositions permettant de prendre en compte la spécificité des territoires ruraux.
La Révolution Française avait prévu que seuls les élus du peuple pourraient lever l’impôt et décider des dépenses publiques.
L’intercommunalité est, depuis ses débuts, une exception à cette règle démocratique. Or, les prérogatives des communautés de communes, d’agglomération et des communautés urbaines se sont largement étendues.
C’est particulièrement vrai dans les agglomérations urbaines où le budget de la communauté est d’un montant largement plus élevé que celui de la ville-centre – ou même que celui de la Région où se trouve cette agglomération !
Dans ces conditions, il est devenu incompréhensible que les électeurs ne soient pas appelés à se prononcer sur les élus qui les représenteront au sein des conseils communautaires.
C’est ce que permet le présent projet de loi qui dispose que les candidats aux conseils communautaires devront être explicitement mentionnés sur les bulletins de vote soumis aux électeurs lors des élections municipales.
Avec plusieurs collègues sénateurs dont Alain Richard, j’ai défendu un amendement (adopté par le Sénat) visant à ce que les personnes proposées pour siéger au sein de l’instance intercommunale ne soient pas nécessairement celles figurant en tête de la liste municipale (comme c’était le cas dans le projet de loi du gouvernement).
Avec plusieurs collègues également (dont Alain Richard et Jacqueline Gourault), j’ai défendu un autre amendement (également adopté par le Sénat) prévoyant, pour que les choses soient très claires pour les électeurs, que sur le bulletin de vote figurent d’une part la liste des candidats au conseil municipal et d’autre part la liste des candidats au conseil communautaire. (Bien entendu, on ne pourra être membre du conseil communautaire que si l’on est conseiller municipal).
Cette réforme sera, à l’évidence, un progrès pour la démocratie, puisqu’aujourd’hui nos concitoyens méconnaissent très souvent les membres des conseils communautaires, qui prennent pourtant, dans nombre de domaines, les décisions les plus lourdes pour l’avenir des agglomérations urbaines et des territoires ruraux.
Pour plus de clarté également, j’ai soutenu la proposition faite par le projet de loi de substituer les termes de « conseil départemental » et de « conseiller départemental » à celles de « conseil général » et de « conseiller général ».
Date des élections.
J’ai également soutenu le report à 2015 de deux élections pour une raison de simple bon sens (et par rapport à laquelle il y a de nombreux précédents).
Le calendrier électoral conduisait en effet, s’il n’était pas modifié, à l’organisation de cinq élections (municipales, départementales, régionales, européennes et sénatoriales) – et donc de 9 tours de scrutin ! – la même année, ce qui est matériellement impossible. Il est donc sage de reporter deux de ces cinq élections à l’année suivante.
Le gouvernement a eu la sagesse de ne pas décider pour ce texte la « procédure accélérée ».
Il y aura donc, après la lecture à l’Assemblée Nationale, une nouvelle lecture dans chaque assemblée, puis la réunion d’une commission mixte paritaire avant les dernières lectures. Des évolutions, modifications et améliorations sont donc possibles.
Et je reste, sur ce texte, comme sur les autres, à l’écoute de tous et de toutes.
Jean-Pierre Sueur.
> Trois amendements que Jean-Pierre Sueur a contribué à rédiger et a soutenus (adoptés par le Sénat) :
Sur la prise en compte des espaces ruraux :
amendement n° 384 de Michel Delebarre (article additionnel après l'article 22)
Sur l'intercommunalité, les délégués ne sont pas seulement les "premiers" de la liste municipale :
amendement n° 381 de Michel Delebarre (à l'article 20)
Sur la clarté du bulletin de vote (élections municipales / élections communautaires)
amendement n° 297 d'Alain Richard (à l'article 20)
et l'amendement identique n° 332 de Jacqueline Gourault (à l'article 20).
> On lira également l'intervention de Jean-Pierre Sueur dans le débat général lors de la séance du 15 janvier 2013
> Les autres interventions de Jean-Pierre Sueur sur ce texte les 16, 17 et 18 janvier 2013.
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