Jean-Pierre Sueur sera l'invité du journal de Public Sénat ce mercredi 16 janvier à 19h sur Public Sénat. Il sera interrogé sur le cumul des mandats.
.Jean-Pierre Sueur sera l'invité du journal de Public Sénat ce mercredi 16 janvier à 19h sur Public Sénat. Il sera interrogé sur le cumul des mandats.
.Paul Voise est mort. Je respecte sa mémoire.
Depuis onze ans, nos interrogations subsistent. Je pense qu'il est utile d'y revenir, parce qu'il faut toujours rechercher la vérité et parce que cette "affaire" reste, à bien des égards, emblématique.
Paul Voise est mort et nous ne saurons sans doute jamais s'il emporte avec lui des secrets, et quels secrets. Nous ne connaissons toujours pas les auteurs de l'agression dont il fut victime le 18 avril 2002, à deux jours de l'élection présidentielle. Le visage de Paul Voise, à la télévision, a ému la France.
Ce fait divers pourtant n'était pas le plus grave de la période - ni d'ailleurs d'autres périodes. Loin s'en faut. Paul Voise est sorti de l'hôpital un jour et demi après y être entré. Anthony Gautier écrit dans le livre qu'il a consacré à cette affaire : "Comparé à l'assassinat du brigadier Régis Ryckebusch abattu le 10 avril 2002 au commissariat de Vannes, comparé au meurtre de Guy-Patrice Bègue, ce père de famille de 38 ans, tué à Evreux le 8 mars par les "racketteurs" de son fils, dans un règlement de comptes, l'acte de violence dont fut victime "Papy Voise" méritait-il autant d'attention ?". Evidemment non, et pourtant on a parlé de ce dernier acte cent fois davantage sur les médias que des deux précédents. Trop souvent - hélas - des actes de violence, des viols, des meurtres ont lieu dans les 101 départements français dont on parle cent fois, mille fois moins que l'on a parlé de cette affaire dans les médias nationaux.
Cela renvoie à la notion d'"information". Qu'est-ce qu'une information ? Ce n'est pas seulement un fait brut. C'est un fait qui, parmi beaucoup d'autres, est mis sur le devant de la scène. Les médias locaux - qu'il s'agisse de la République du Centre, de FR3, de Radio France ou du correspondant de l'Agence France Presse à Tours - ont d'ailleurs mis ce fait divers à sa juste place. Ce sont les médias nationaux qui, dûment alertés, ont choisi de monter en puissance, et même en grande puissance, cette agression. D'où la question qui se pose évidemment : comment, à deux jours, à un jour des présidentielles, cette image a-t-elle pu devenir l'information essentielle - ou l'une des informations essentielles - venant devant tout autre sujet national ou international sur TF1 et passant en boucle (le reportage a été diffusé 19 fois sur LCI dans la même journée) ?
Question liée à la première : comment les caméras ont-elles pu être introduites au Centre Hospitalier Régional d'Orléans (CHRO), ce qui suppose toujours une autorisation des autorités en place ?
Plusierus journalistes ont enquêté sur ces questions. Deux d'entre eux ont affirmé que Florent Montillot, adjoint à la sécurité à Orléans, avait appelé les équipes de télévision, ce que l'intéressé a démenti. Il a toutefois affirmé être dans le quartier très tard le soir de l'agression et déclaré à Régis Guyotat (Le Monde du 23 avril 2003) : "J'avais autre chose à faire. J'ai passé une grande partie de la journée à accompagner les journalistes sur les lieux" - ce que Richard de Vendeuil commente ainsi dans l'Express : "Un demi aveu ?". Je me bornerai pour ma part à remarquer que le rôle d'un élu n'est pas celui d'un attaché de presse. Pourquoi, d'ailleurs, les journalistes venus de Paris s'adressent-ils à lui pour trouver des "lieux" qu'il n'est pas difficile de trouver ? Pourquoi bénéficient-ils en outre de son "accompagnement" ?
En dépit des investigations menées par nombre de journalistes (et dont fait justement état le site Wikipedia : "Affaire Paul Voise"), nous n'en savons pas plus sur les raisons de cet extraordinaire emballement médiatique en cette période extrêmement sensible. Dix ans après, le directeur de l'information de TF1 (et de LCI), a reconnu sur Europe 1 que le traitement de cette affaire était une "faute". Il a déclaré à la République du Centre (le 17 avril 2012) : "Objectivement, ce fait divers, TF1 n'aurait pas dû le traiter (...). Il méritait d'être mentionné comme une brève, c'est tout. En 16 ans de responsabilité à TF1, j'ai connu deux ou trois dérapages : cette affaire en fait partie, c'est une blessure". Pour tardives qu'elles soient, ces déclarations sont importantes. Elles doivent inciter à la vigilance à une heure où, par rapport à ce que nous avons connu il y a onze ans, le souci de l'"immédiateté" a beaucoup progressé sur les médias et les réseaux sociaux. A-t-on même le temps de vérifier, de mettre en perspective, de jauger non seulement de la véracité mais de la pertinence d'une information avant qu'elle soit immédiatement diffusée ?
On ne saura jamais l'effet que cette "faute" - avouée - aura eue sur le résultat d'une présidentielle où, à la surprise générale, Jean-Marie Le Pen a dépassé Lionel Jospin. Mais qui dira que cela n'aura pas eu d'effet ?
Pour être compplet, j'ajoute qu'une autre explication doit être prise en compte, qui tient aux sondages. Beaucoup de ceux qui n'ont pas voté Jospin au premier tour l'ont fait en considérant qu'ils pourraient le faire au second tour pour la simple raison que Lionel Jospin était devant Jean-Marie Le Pen dans les sondages. Mais l'écart se réduisait. Et on avait - on a toujours d'ailleurs - le tort de ne pas publier les marges d'erreur (ou marges d'incertitude) des sondages. Or ces marges, en plus ou en moins, étaient égales voire supérieures à l'écart qui apparaissait entre l'une et l'autre candidature. Résultat : l'analyse des marges d'erreur permettait de voir très facilement que les courbes pouvaient s'inverser. Mais on l'ignorait. C'est pourquoi je milite pour que l'on publie obligatoirement les marges d'erreur des résultats des sondages. Une proposition de loi, votée à l'unanimité par le Sénat, prévoit de l'imposer. Elle est en attente à l'Assemblée Nationale.
Jean-Pierre Sueur.
Une interview de Jean-Pierre Sueur et une question orale au ministre.
> Lire l'interview au Courrier des Maires, semaine du 11 janvier 2013.
> La question orale à ce sujet.
Le ministre de l'Intérieur répondra en séance publique à cette question lors d'une prochaine séance de questions orales au Sénat.
Les 15, 16, 17 et 18 janvier, le Sénat commencera en séance publique (et poursuivra à la commission des lois) l'examen d'un projet de loi important pour les collectivités locales.
Il s'agira notamment :
- du mode de scrutin départemental.
Le projet prévoit d'instaurer la parité hommes/femmes dans les départements. Le Conseil Constitutionnel a par ailleurs considéré dans une décision récente que les écarts de population entre les circonscriptions électorales pour les élections régionales ne devraient pas dépasser + ou - 20%. On peut penser que la même jurisprudence s'appliquera aux écarts entre la population des différents cantons au sein d'un département.
- du mode d'élection des élus communautaires, qui seront "fléchés" sur la liste des élections municipales. Les électeurs désigneront donc leurs élus aux différentes communautés en même temps que les élus municipaux.
- du seuil de population au-delà duquel le scrutin de liste sera instauré lors des élections municipales.
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Les circonstances jouent un rôle non négligeable dans l'existence. A peine nommé secrétaire d'Etat aux collectivités locales en 1991, j'apprends qu'il y a sur mon bureau un dossier difficile, que je ne m'attendais pas à y trouver : la réforme des pompes funèbres. Singulier cadeau pour un jeune ministre. Je me mis au travail avec mes collaborateurs et réussis à faire voter en 1993 un projet de loi réformant le monopole des pompes funèbres qui avait le double inconvénient d'être "un monopole faussé" couvrant, de fait, "une concurrence biaisée".
….Et puis j'ai suivi le sujet dont j'ai décrypté peu à peu les multiples aspects : sociaux, rituels, financiers, professionnels, etc. Les idées que nos sociétés se font de la mort sont révélatrices des conceptions qu'elles se font de la vie. Les rites funéraires sont des "marqueurs" de civilisation et en disent beaucoup sur chaque civilisation. Mon intérêt s'est accru, au fil du temps, sur ces sujets. J'ai été à l'initiative de quatre lois sur la législation funéraire et je ne compte plus les propositions de lois, rapports, questions aux ministres, articles et participation à des colloques. L'une de mes dernières initiatives parlementaires (menée conjointement avec Jean-René Lecerf) a porté sur la crémation. Elle était nécessaire. En effet, avant la loi du 18 décembre 2008, il n'y avait pas de règles, de normes s'appliquant à la crémation en France.
Or la crémation s'est beaucoup développée. En 1980 un pour cent des obsèques donnaient lieu à crémation. Quand nous avons préparé la loi de 1993, cette pratique était encore marginale. Aujourd'hui, elle représente trente pour cent des obsèques et près de cinquante pour cent (voire davantage) dans les grandes villes. L'analyse des contrats obsèques nous montre qu'une cérémonie d'obsèques sur deux se fera sous la forme de la crémation dans les décennies qui viennent.
Cette mutation importante - soutenue par la Fédération Française de Crémation et ses associations locales - a finalement peu été analysée.
C'est pourquoi je tiens à saluer la publication récente de deux livres, l'un de Damien Le Guay, "La mort en cendres : la crémation aujourd'hui, que faut-il en penser ?" (éditions du Cerf) et l'autre de François Michaud-Nérard, "Une révolution rituelle : accompagner la crémation" (éditions de l'Atelier).
Après avoir écrit : "Donner sépulture est un des fondements de l’humanité", François Michaud-Nérard pose la question : "Pourquoi de plus en plus de personnes choisissent-elles la crémation et la dispersion ?"
Il relativise - comme le fait aussi Damien Le Guay - les arguments traditionnellement invoqués. L'écologie d’abord : la crémation pose des problèmes écologiques - et la totalité des crématoriums devront investir fortement d'ici 2018 pour être conformes aux normes européennes. L'absence de place ensuite : notre pays compte assez de surfaces inhabitées et inoccupées, même si à Paris et dans les grandes villes plusieurs cimetières se trouvent relégués à une certaine distance. L'argument financier enfin : il est vrai que les crémations coûtent moins cher que les inhumations, mais l'écart tend à se réduire (la question du prix des obsèques est d’ailleurs encore largement devant nous : en témoigne la difficulté que nous rencontrons à faire appliquer les dispositions désormais légales relatives aux "devis modèles" qui doivent permettre à toutes les familles éprouvées de faire rapidement des comparaisons sur les différentes offres proposées dans un secteur géographique donné pour des prestations équivalentes.
Alors, où faut-il trouver les raisons profondes de ce fort développement de la crémation ?
François Michaud-Nérard y voit des raisons sociologiques. Nous sommes passés d'une société où le deuil était très présent - "une personne au début du vingtième siècle passait un tiers de sa vie en deuil" (page 17) - à une société où "la mort est devenue un tabou" (page 15). Elle ne doit pas coûter aux descendants (d'où le succès des contrats obsèques). Elle ne doit pas encombrer le paysage ni physique ni symbolique. On est loin des funérailles de Patrocle organisées par Achille.
Damien Le Guay cite Michel Foucault : "La mort est bien plus qu'un rite de passage vers un autre monde : c'est toute une manière de vivre". Et durant les deux cents pages de son livre, il ferraille, avec la vigueur de Charles Péguy, qu'il admire : "un nouvel idéal a fini par s'imposer, celui d'une mort silencieuse, sans bruit, qui gênerait le moins de monde possible, le moins longtemps possible" (page 41). La crémation n'est plus "nihiliste, athée, anticléricale" (page 71), mais elle témoigne d'une "fatigue des symboles et du sens" (page 72). "Le mort encombrant et localisé est en train de devenir un SDF" (page 13). Il faut "faire place nette, dégager, s'effacer, se restreindre" (page 99). Il cite Diderot : "tous les êtres circulent les uns dans les autres (…) tout est en flux perpétuel". Il souligne le paradoxe que constitue la concomitance du développement des soins de conservation et de la crémation.
Au total, il y a dans ce livre beaucoup de fougue, comme chez Péguy, des excès, des pages discutables. Ainsi ne puis-je pour ma part souscrire au parallèle fait pages 95 et 96 entre le décret du 18 Mars 1976 et la loi du 17 Janvier 1975 dus à Simone Veil.
Le livre de Damien Le Guay donnera lieu à n'en pas douter à de solides controverses avec les associations de crématistes. Mais il a le grand mérite de permettre le débat et de donner à penser - comme le fait tout autant le livre de François Michaud-Nérard - sur une évolution qui est profonde et doit assurément donner lieu à analyses et réflexions.
Deux mots pour finir.
Le premier pour revenir à l'ouvrage de François Michaud-Nérard et souligner l'apport qui est le sien pour ce qui est des pratiques, rites et cérémonies liés à la crémation. François Michaud-Nérard a tout à fait raison quant à la nécessité d'un schéma régional d'implantation des crématoriums (que je n'ai malheureusement pas réussi à inclure dans la loi de 2008). Il a aussi raison pour ce qui est des locaux situés à l'immédiate proximité des crématoriums, qui doivent avoir la dignité requise et la capacité suffisante pour l'organisation des cérémonies.
Un second mot au sujet des dons d'organes évoqués par Damien Le Guay (page 170-171). Bien que la proposition de loi que j'ai rédigée à ce sujet soit restée lettre morte, je persiste à penser qu'un fichier "positif" des personnes favorables aux dons d'organes serait très utile. Il existe un fichier "négatif" où les personnes peuvent consigner leur refus. Pourquoi ne pas instaurer un fichier positif où celles et ceux qui le souhaitent pourraient inscrire explicitement leur volonté de contribuer par le don d'organes à sauver des vies ?
Jean-Pierre Sueur