On dit parfois – ou souvent – des petites communes qu’« il ne s’y passe rien », que la vie y est d’un « calme plat », qu’il y a « peu de débats » et que « le politique s’efface » derrière une sorte d’« unanimisme ».
Rien n’est plus faux.
Les sénateurs, dont le corps électoral compte de très nombreux élus des petites communes et qui parcourent sans relâche – et avec intérêt et plaisir – ces « petites communes », le savent bien.
Et s’il était besoin de le démontrer, l’un des nombreux livres de cette « rentrée littéraire » le fait très remarquablement.
Il est dû à une brillante ethnologue, Marie Desmartis. Il s’intitule Une chasse au pouvoir : chronique politique d’un village de France et est publié aux éditions Anacharsis (collection « Les ethnographiques »).
Marie Desmartis a enquêté, des années durant, sur la vie municipale et sociale d’un très petit village des Landes de Gascogne qu’elle a renommé « Olignac » et qui compte une centaine d’habitants.
C’est un village où il se passe beaucoup de choses lors de chaque élection municipale, où la vie communale est loin d’être un « fleuve tranquille », où il y a des clivages ancestraux, des nouveaux venus, des conflits, une maire élue contre son gré, des incendies de palombières, des solidarités, des initiatives, des mutations, des incompréhensions, des haines recuites… Enfin tant de choses… qui font dire au critique de Télérama : « Si pour vous, François Hollande et Nicolas Sarkozy se sont montrés trop violents pendant la campagne présidentielle, lisez "Une chasse au pouvoir". »
Vous l’aurez compris : ce livre d’anthropologie se lit comme un roman policier. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.
Son intérêt tient aussi à ce que, comme l’écrit Marie Desmartis, « toute la matière de ce livre est […] constituée de différentes épaisseurs du temps que j’ai tâché de conjuguer : celles du temps long de l’histoire des Landes de Gascogne ; celle, rythmée, des mandats municipaux ; celle, bihebdomadaire, de la vie d’une mairie ; celle en pointillé du terrain ; celle, libérée de l’écriture, auxquelles s’ajoutent parfois la rupture imprévue introduite par l’événement et, toujours, les soubresauts de la vie ».
Le livre est ainsi fait d’un éclairage du « temps court » par le « temps long », et réciproquement.
Le temps long, c’est celui des landes, où les plantations de pins changent en profondeur les équilibres : « La métamorphose du "désert" en forêt fut à l’origine d’un creusement vertigineux des inégalités sociales ».
Un temps « intermédiaire » est celui de l’arrivée, plus près de nous, sur plusieurs décennies, et par deux vagues successives – chacune soigneusement analysée – de « néo-ruraux » s’inscrivant dans le mouvement de la « rurbanisation ».
Le temps court, c’est la chronique haletante de la vie d’un village, que je vous laisse découvrir, dont on ne peut vraiment pas dire qu’en dépit du fait qu’il ne compte qu’une centaine d’habitants, il est de ces villages – mais y en a-t-il ? – où il « ne se passerait rien ».
J’ajoute que Marie Desmartis renouvelle par son expérience et ses observations un débat ancien sur la place de l’ethnologue qui ne saurait être totalement extérieur à l’objet de son étude et dont la présence – et même les maladresses, fidèlement décrites – modifient inéluctablement l’objet de l’étude et deviennent d’inévitables objets de l’analyse…
Comme l’écrit Alban Bensa dans sa préface, c’est une « ethnographie du détail, de la conjoncture, du récurrent et du hiérarchique que Marie Desmartis met ici à notre portée au moyen d’une écriture subtile et, je ne sais pourquoi, entraînante ».
Jean-Pierre Sueur
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