Ce fut un nouveau spectacle très précieux que Joseph Nadj, directeur du Centre Chorégraphique National d'Orléans, nous a offert cette année au Festival d'Avignon, spectacle donné en une petite ville inondée de lumière, Saze, où l'on arrive en bus, quittant pour une ou deux heures l'effervescence d'Avignon. On se retrouve dans une salle des fêtes comme il en est tant, et le rideau s'ouvre sur un rythme très lent devant un décor noir en forme de boîte en bois de quatre mètres sur quatre, cadre imposé par la quadriennale de Prague, où le spectacle fut conçu, qui fait aussitôt penser à la règle des trois unités de nos auteurs classiques, instaurant une rigueur extrême pour laisser libre cours à une création intense s'imposant ici par la pure beauté des formes, des lignes, des mouvements et de la musique. Deux êtres en ce décor, Joseph Nadj et Anne-Sophie Lancelin, dansent, conjuguant les gestes lents de l'attente, du désir, de la tendresse, de l'amour et de la violence, gravitant autour d'accessoires simplissimes - un bâton, des brins de paille - se fondant, se perdant, s'abolissant dans les murs noirs avant de reparaître et de se retrouver. Présence et absence, physique et métaphysique composent ce pas de deux que scande la musique d'Alain Mahé et qu'éclairent quelques bougies vacillantes. Joseph Nadj nous avait informé des sources de son inspiration : les gravures d'Albert Dürer et les poèmes de Paul Celan. L'inspiration lui vient aussi de sa Voïvodine natale et de tant de chemins traversés. Joseph Nadj est un passeur : il rêve de dialogue entre les cultures de l'Europe de l'Est et de toute l'Europe, du monde aussi, celui d'hier et d'aujourd'hui. Il songe aussi à la suite de son oeuvre, à un second "grand cycle de travail" qui succéderait au premier, avec à l'entrecroisement, ce retour à l'intime avec "Paso Doble", "Les Corbeaux" et aujourd'hui cette nouvelle oeuvre, intitulée "Atem", ce qui signifie en allemand "souffle". Joseph Nadj est aussi un passeur entre les arts : danse, image, calligraphie, écriture, il cultive et conjugue toutes les formes, ne cédant ni au pittoresque ni à l'anecdote, préférant la concentration, la communion, comme dans "Atem" , donc, où deux êtres cherchent à n'en faire qu'un et, sans fin, s'en retournent à leur singularité avant de se retrouver encore et de se perdre à nouveau, au gré des mouvements de l'âme et du corps, bercés du "souffle" qui, de la première à la dernière minute, fait vivre en nous les rythmes les plus mystérieux qui viennent de loin et nous portent au delà de nous.
Jean-Pierre Sueur
P. S. : Je signale - toujours au Festival d'Avignon - un spectacle chanté, gai, tonique et très enlevé ! Il est présenté par la Compagnie "Acidu" et s'intitule "Si tous les chants du monde...". Chaque soir jusqu'au 28 juillet, à 21h10 à l'Espace Alya (salle A), 31bis rue Guillaume Puy. Réservations : 04 90 27 38 23. Vous ne serez pas déçus du voyage.
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